06 avril 2006

Préparation à l'agrégation - Leçons

Diego Velasquez, Le Triomphe de Bacchus, 1629, Madrid, musée du Prado

Leçon d’agrégation Sujet

1-Tambourins des Indes galantes de Rameau (écoute).

2-Pétrouchka de Stravinsky, « Foire populaire du Mardi gras » (partition). Partition de poche Boosey and Hawkes, Première partie, p. 1 à 19, ou Dover, p. 7 à 27 de cette édition, disponible sur le site :
http://www.dlib.indiana.edu/variations/scores/aad9501/large/index.html

3-Diego Velasquez, Le Triomphe de Bacchus, 1629, Madrid, musée du Prado (voir reproduction ci-dessus).
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Corrigé

Rappel du BO du 30 août 2000
Leçon devant le jury : cette épreuve comporte un exposé de synthèse fondé sur l'analyse et la mise en relation de trois documents identifiés de diverses natures dont une partition, un enregistrement audio ou vidéo, le troisième document pouvant être, notamment, un texte littéraire, un écrit sur la musique, un document iconographique ou multimédia.
Le candidat expose et développe une problématique de son choix en s'appuyant sur les trois documents proposés. L'exposé est suivi d'un entretien avec le jury.
Pendant la préparation, le candidat dispose d'un clavier et du matériel nécessaire à l'exploitation des documents proposés (durée de la préparation : six heures ; durée de l'épreuve : cinquante minutes [exposé : trente minutes ; entretien : vingt minutes] ; coefficient 2).

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Introduction
*Le sujet :
Le recours aux expressions populaires dans l'art savant.
*La problématique : de quelle manière sont-elles intégrées ? Il faut bien distinguer l’emprunt textuel de certains motifs ou de certaines techniques de l’inspiration populaire qui concerne l’esprit et la démarche.
*Le plan
1-S’agit-il d’une simple citation, d’un emprunt qui au fond ne change rien au mouvementt général, à l’écriture ? Simple référence à un monde qui n’a pas le droit de cité, sorte de couleur locale.
2-Le matériau populaire est-il respecté et donne-t-il une orientation à l’œuvre ? Une véritable intégration ?
3-S’interroger sur le sens même des influences populaires dans une œuvre artistique.

I-Un emprunt artificiel
Une couleur locale, exotique, qui ne remet pas en cause un ensemble « savant »

1-Un populaire idéalisé
Les « Tambourins » des Indes galantes de Rameau :
-Tambourin : danse populaire d’origine provençale.
-L’opéra-ballet au XVIIIe siècle : divertissement des Parisiens et de l’aristocratie, les paysans sont convoqués uniquement par convention.
-Mode de la pastorale, des bergeries. Cadre idéal, sorte de monde de l’âge d’or où évoluent des bergers de convention qui s’occupent principalement de leurs relations amoureuses. Référence à l’Antiquité (Virgile) et non au monde paysan.
-De même une certaine mode apparaît au XVIIIe pour le jeu d’instruments populaires par les nobles et bourgeois : musette, vièle à roue. Jouent des danses ou des pièces d’inspiration populaire. Cette mode est relayée à l’opéra : les musettes s’introduisent avec Campra (début XVIIIe), des danses comme les « tambourins » - souvent associés aux personnages de Provence - les « musettes », sont de plus en plus à la mode.
-Analyse des Tambourins : bourdon, percussions, mélodie affirmée, 2 parties sol mj/sol min (jouer et chanter les ex) => référence populaire
-Mélodie travaillée dans le mineur (grands intervalles, changements de registres) typique de Rameau : élaboration savante.
=> L’inspiration populaire ici est un prétexte : des techniques d’écriture sont transposées dans un contexte bien différent (un opéra-ballet).

2-La citation
(Transition)
Si Rameau réinvestit des techniques d’écriture populaires, Stravinsky quant à lui, cite textuellement une mélodie qu’il intègre à une scène de Pétrouchka (1911).
-Chez Stravinsky, la mélodie populaire (« Elle avait une jambe de bois ») que le compositeur avait entendu de sa fenêtre à Beaulieu près de Nice, intervient comme une citation, une sorte de collage dans la construction de l’œuvre. Elle agit un peu à la manière des collages cubistes où un bout de journal – élément du quotidien – ne remet pas vraiment en cause une véritable réflexion sur la forme et la perspective. Chez Rameau et Stravinsky les élément populaires plus ou moins retravaillés font donc partie du matériau compositionnel qui s’inscrit dans un contexte a priori savant.

3-Le référent savant
-Chez Velasquez, la convocation de paysans dans une scène mythologique semble également jouer ce rôle. Ce type de scène constitue un topos de la culture des classes aisées et est donc facilement lisible par les élites.
-Le sujet : Bacchus couronne un paysan. Dieu de l’ivresse et du vin, il est associé aux fêtes voire aux orgies. Le tableau évoque aussi le pouvoir du vin qui fait oublier les soucis et adoucit la vie. Il se donne à voir comme une allusion au règne de Philippe IV qui donne bonheur et joie de vivre à ses sujets : remarquer la figure réjouie des paysans. Ce tableau ornait la chambre à coucher du roi, ce qui confirme son interprétation allégorique.
-Le personnage de Bacchus est un hommage évident à Caravage dont Velasquez s’inspire. Bacchus, couronné de pampres, adopte un visage de jeune homme et est habillé à l’antique, comme ses deux compagnons (nudité « héroïque » des dieux et des empereurs romains). Il couronne un sujet ou un adepte de son culte.
-Les paysans qui lui rendent hommage évoquent quant à eux les bergers ou les mages qui viennent adorer le Sauveur : la référence à la peinture religieuse est ici évidente. Comme dans une crèche, les paysans présentent à leur jeune dieu des offrandes en relation avec son culte : verre de vin, bol. Au pied du jeune homme qui est couronné figurent une cruche et comme un verre renversé. Il est assis sur un tonneau.
=> les personnages populaires participent à un sujet mythologique.
(Transition)
-Dans une première lecture, le populaire sert donc de caution à des univers qui lui sont étrangers : il n’y semble pas vraiment intégré mais plutôt surajouté. Toutefois il ne faudrait pas rester à ce niveau d’interprétation : l’influence populaire est capable aussi d’infléchir le contenu moral et artistique d’une œuvre. Elle joue un rôle qui n’est pas uniquement anecdotique.
-Ainsi la toile de Velasquez peut se lire comme une cérémonie complètement païenne, consacrée aux plaisirs de la vie – surtout celui du vin. La référence à la mythologie ainsi qu’au motif chrétien de l’adoration du Sauveur, est transformée par l’importance de l’élément populaire : la représentation très réaliste de paysans plus ou moins ivrognes.

II-Le matériau populaire oriente l’œuvre

1-Une réjouissance toute humaine
-Le tableau de Velasquez, en effet, se divise en deux parties : celle, assez conventionnelle et même maladroite (voir le corps de Bacchus), consacrée au dieu et à ses suivants et celle, animée, réaliste et bien plus soignée des ivrognes paysans. On peut comparer les attitudes : alanguies et calmes pour les uns, animées pour les autres (ils se poussent afin de regarder, l’un soulève son chapeau). Les regards de même jouent un rôle de premier plan : Bacchus a les yeux tournés vers la gauche, hors champ et semble quêter l’assentiment de ses suivants. Ceux-ci nous tournent la tête : ils s’amusent de la scène à droite du tableau. Et c’est bien celle-ci qui domine : les regards prennent le spectateur à partie, ils le convient à entrer dans la célébration du vin et de l’ivresse.
-Le traitement des ivrognes tranche par son réalisme – bienveillant – sur les costumes et la nudité des dieux. Les habits sont ceux des paysans du temps, ils ont leurs cheveux (pas de perruques), les plus âgés ont barbe et moustaches qui contrastent avec les corps imberbes des dieux. Leurs faces sont réjouies, détendues (ils sourient ou rient) et même bien rouges pour certains ! On éprouve une atmosphère de joie de vivre, accentuée encore par l’emploi de couleurs chaudes en premier plan (jaune de la veste et brun-rouge du manteau).

2-Une évocation de la fête
-On retrouve la même démarche chez Stravinsky : l’évocation d’une fête populaire
-La mélodie citée plus haut s’accompagne d’une imitation savoureuse et virtuose de l’orgue de Barbarie aux clarinettes et flûtes.
-elle prend place dans le 1er tableau, la « Foire du mardi gras ».
-Analyse de l’extrait de Pétrouchka avec exemples musicaux (voir analyse : ne pas se perdre dans les détails, mais ramener aux techniques d’écriture qui contribuent à créer une atmosphère de foire populaire. Si vous connaissez l’argument, donnez le).
=> le motif populaire donne son sens à l’œuvre.

III-Populaire et savant : une vision humaniste
(Transition)
En effet, la leçon à tirer de ses trois œuvres, c’est la fusion du populaire et du savant dans une vision humaniste qui dépasse les clivages trop marqués ou les hiérarchies sociales et artistiques (musique populaire simpliste ou élémentaire/paysans sales et incultes).
1-le rythme et la danse chez Rameau, éléments combien vitaux dans la plupart des civilisations. Malgré le contexte « artificiel » des Tambourins, Rameau rejoint, par l’énergie rythmique déployée, l’esprit des musiques populaires.
2-le plaisir épicurien chez Velasquez : le véritable sujet du tableau ce sont les paysans. Notez d’ailleurs que le centre de la toile est occupée par une tête de face, celle du paysan qui rit et qui nous présente son bol empli de précieuse liqueur. Le peintre évoque l’idée du bonheur, mais un bonheur profondément humain qui dépasse le référent mythologique : l’inspiration du tableau est épicurienne. Elle célèbre les bienfaits de la nature qui sont donnés aux hommes pour leur plus grand bonheur. Elle invite à jouir de la vie : il n’y a aucun mépris pour ces gens du peuple qui, comme tout un chacun, sont capables d’apprécier les dons de la nature (faire ici une allusion au courant épicurien en Europe aux XVIIe et surtout XVIIIe siècles).

3-un tableau coloré, vivant, populaire mais extrêmement pensé chez Stravinsky : procéder à une analyse plus structurelle. Sa musique - encore de la danse d’ailleurs – ne se conçoit pas comme une musique de film – descriptive et illustrative – mais véritablement comme une œuvre d’art (donnez des exemples musicaux). L’imagination du compositeur est fécondée par la musique populaire, par son écriture et par son énergie (bourdon, harmonie, tonalités, écriture mélodique et rythmique). Elle lui permet d’élaborer un langage et un univers nouveaux.

Conclusion
-Pour les artistes, l’art concerne la société entière. C’est là que réside le sens de leurs emprunts populaires.
-Pour eux, en effet, toute production humaine est digne d’intérêt. C’est donc à une vision humaniste qu’ils nous convient, vision fondée sur la tolérance, l’intérêt et le souci de l’humain. Elle est toujours d’actualité.

Autres thématiques possibles :
1-Fête et divertissements
=> Etudier quels sont les moyens d’expression mis en jeu pour évoquer voire décrire une atmosphère de fête ou de divertissement.
=> La danse y joue un rôle prépondérant (le corps, le rythme)
=> L’aspect populaire y est très présent.
2-Rythme(s)

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