27 décembre 2013


Réflexions critiques sur la disparition de la mention musicologie en licence


Dans les projets ministériels à propos des nomenclatures de licence (1er semestre 2103), figurait la disparition de la musique et de la musicologie. Rattachée aux Arts du spectacle, elle n'existait plus en tant que mention de licence et perdait toute visibilité. Même si la musicologie a bien des liens avec les arts du spectacle, le théâtre et la danse notamment (et mes recherches en témoignent), un tel effacement était dommageable pour une discipline encore jeune et qui a eu du mal à s'imposer dans l'université française : en quoi les études sur l'analyse musicale, sur la musique instrumentale, sur la théorie, sur l'esthétique pouvaient se rattacher aux arts du spectacle ? Fallait-il y renoncer ou bien tordre les catégories artistiques au risque de perdre encore plus les étudiants dans le maquis des mentions, des sigles et des acronymes… Rattacher l'art de la fugue de Bach ou les quatuors de Beethoven aux arts du spectacle auraient donné des tourments épistémologiques aux plus audacieux.  

Ce qui m'amène à tenter une définition de la musicologie qui m'est personnelle (donc contestable): elle serait l'étude érudite à partir d'un objet musical, partition, transmission orale ou musique sur support, qui vise à mettre en valeur son fonctionnement interne lié à un contexte donné. Il faut donc pour s'y confronter, maîtriser la technique musicale en même temps que la culture d'une société. Les arts du spectacle ne sont qu'une petite partie du domaine.

Le projet était d'autant plus incompréhensible, que la mention musicologie réapparaissait en master, comme si elle n'était pas digne de figurer en licence ?

Je remercie ici mes collègues, Luc-Charles Dominique et Frédéric Billiet qui ont mené le juste combat et qui ont réussi à mobiliser une grande partie des personnes qui s'intéressent aux études musicales à l'université. 


Lu dans le blog de Luc-Charles Dominique

- Grâce au combat et à la mobilisation réalisée par Luc-Charles Dominique (univ. de Nice) et Frédéric Billiet (univ. Paris-Sorbonne), la mention musicologie a été rétablie pour la licence. Qu'ils soient remerciés ici.

• La mention Musicologie rétablie en Licence à l’Université

La mention Musicologie a été rétablie dans la nomenclature des diplômes de licence du Cadre National des Formations.
Cette décision fait suite à la réunion qui s’est tenue le lundi 21 octobre au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, en présence de M. Jean-Michel Jolion, Chef du service de la stratégie de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle au MESR, et de M. Eric Delabaere, Chargé de mission "Formations" au Cabinet de Madame la Ministre.
Notre mobilisation a été couronnée de succès.

10 septembre 2013

Carmontelle, Jean-Philippe Rameau
pastel,1760, musée Condé Chantilly.


Bonjour !



Après quelques années d'absence, ce blog reprend vie à propos de l'année Rameau. Le compositeur né en 1683 et mort en 1764 aurait eu 250 ans en 2014 : il s'agit d'une occasion de célébrer une "gloire" nationale bien sûr, mais aussi un des compositeurs les plus originaux (voir fantasque) du XVIIIe siècle, si l'on me pardonne ce raccourci injuste pour les autres (compositeurs) et bien peu scientifique.
Justement ce blog a pour objet de mettre en ligne quelques aperçus pédagogiques et musicaux sur le compositeur, pour les étudiants de musicologie de l'université de Reims ou réalisés par eux. Il est animé par moi-même qui suis Maître de conférences HDR dans cette université : ce blog, même s'il est à destination pédagogique, a pour but de donner des informations et des points de vue fiables et scientifiquement exacts.
Il a aussi pour but de le faire sous une forme attrayante : combattons ce préjugé si tenace que les musicologues ne savent pas s'adresser au public en général !
La première réflexion qui me vient à l'idée, c'est de comparer la biographie de Rameau dans Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Philippe_Rameau (auteur inconnu hélas) et celle qui est donnée dans le New Grove Dictionary (2001) par Graham Sadler (dans toutes les bonnes bibliothèques). Ce dernier est un chercheur britannique, spécialiste de Rameau. Il a rectifié quantité d'erreurs que nous ont transmises les biographes du XVIIIe siècle, grâce à sa recherche scrupuleuse et attentive : rendons lui ici hommage car c'est aussi un chercheur d'une belle générosité.
Premier exercice : comparer la biographie de Wikipédia http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Philippe_Rameau avec celle du New Grove Dictionary (G. Sadler).

30 novembre 2009

Bertrand POROT

07 novembre 2007

Corrigé d'analyse ou de commentaire

Caravage, Mise au tombeau, 1602-1604, Rome, Pinacothèque du Vatican


Monteverdi, L’Orfeo, première édition 1609, transcrite par Jonathan Cable. Acte II, Pastore et Messagiera.

Traduction:
Pastore I
Vois, ah, vois, Orphée : tout autour de toi
Les bois et les prés sont riants ;
Continue donc, à l’aide de ton plectre d’or,
De rendre l’air plus doux en ce jour si heureux.

La Messagère
Hélas ! Sort impitoyable, hélas destinée barbare et cruelle,
Hélas, étoiles injustes, hélas Ciel néfaste !

Pastore I
Quels sont ces douloureux accents qui viennent troubler ce jour heureux ?


CORRIGÉ D'ANALYSE
Licence 3


Extrait de l’
Orfeo de Monteverdi, Acte II, Pastore et Messagiera

L’extrait proposé provient de l’Orfeo de Monteverdi, opéra créé en 1607 au palais ducal de Mantoue. S’il n’est pas le premier opéra de l’histoire de la musique, il en représente un des exemples les plus achevés à cette époque. Il constitue la première réalisation dans ce genre de la part de Monteverdi alors qu’il était employé par les Gonzague. L’œuvre s’inscrit dans le mouvement initié par la camerata dei Corsi à Florence dès la fin du XVIe siècle. La camerata a tenté de retrouver l’univers de la tragédie antique et de fonder un nouveau genre théâtral : une pièce entièrement mise en musique. Monteverdi s’est également inspiré des avancées de la camerata dei Bardi, qui avait mis en place le style récitatif dès les années 1580.
Tous ces mouvements ont pour objectif principal l’expression des passions et participent à une esthétique commune, celle de la « seconda prattica ». Celle-ci repose sur l’expression du texte qui prime sur la musique, comme le note Caccini : « la musique n’est rien que la parole, le rythme et le son venant ensuite, et non le contraire » (Nuove musiche, préface, 1602). Les moyens techniques privilégient le chant soliste et l’abandon de la polyphonie. Les compositeurs exploitent désormais le style récitatif et représentatif (« représenter » les passions). La basse continue aide à mettre en valeur cette traduction affective : elle soutient la voix soliste de manière plus efficace.
L’Orfeo de Monteverdi se place dans ce courant musical et met en scène les amours d’Orphée et d’Eurydice, livret inspiré de la « fable » antique. Les deux héros sont fiancés et leurs compagnons – bergers et bergères - célèbrent leur prochain mariage dans l’acte I. Les divertissements pastoraux continuent à l’acte II, brutalement interrompus par la Messagère, porteuse d’une nouvelle dramatique : Eurydice est morte. Il s’agit d’une péripétie particulièrement dramatique car elle repose sur un contraste entre les fêtes des bergers et l’irruption pathétique de la Messagère, compagne d’Eurydice : c’est ce dernier moment qui est donné à analyser.
Comment Monteverdi l’a-t-il traité musicalement ? Nous nous proposons de l’examiner à travers trois démarches musicales : les changements de modes, la facture mélodique et l’utilisation de figures de rhétorique diversifiées. Nous les mettrons en relation avec l’opposition de climats affectifs qui caractérise l’extrait proposé ainsi qu’avec la peinture des personnages et de leurs passions : le berger est encore dans l’esprit de la fête et ne comprend pas la nouvelle alors que la Messagère est choquée par le spectacle de la mort.

I- Un plan modal contrasté

Le plan modal utilisé par Monteverdi s’apparente à la « dispositio » des rhéteurs : il délimite les grandes parties du discours. Si l’on emploie le terme de « modal », c’est bien parce que le compositeur évolue encore dans l’univers des modes de la Renaissance, en particulier dans la conception de Glareanus, exposée dans le Dodécachordon (1547). Mais il les utilise ici à des fins dramatiques : donner des couleurs particulières à chaque intervention des personnages, comme le montre le tableau suivant :

Partie I
Berger
Mode de do - cad parf
gaieté

Partie II
La Messagère
Chromatisme puis mode de la - cad parf
douleur

Partie III
Berger
mode de do, transposition par bémol (sur fa)
incompréhension

Monteverdi joue donc sur la « modulation » ou le changement de mode : chaque « plan » affectif est délimité par une cadence parfaite dans le mode, sauf pour la deuxième intervention du Berger qui oblique vers le mode de do par nature afin de faire la jonction avec le mode de la suivant. Remarquons toutefois après sa question (mes. 23), un effet de contraste entre la juxtaposition de l’accord de do et celui de mi tierce majeure, caractéristique du XVIIe siècle (mouvement en tierce de la basse avec accords de fondamentale) : il introduit le récit de la mort d’Eurydice.
La partie centrale, pour mieux évoquer encore la douleur et l’affolement, est extrêmement instable : elle débute par un chromatisme à la basse, puis le mode de la semble s’installer mais retrouve des chromatismes mesure 18 ainsi qu’un degré altéré mesure 19 (fa#) qui semble conduire au mode de do transposé par bécarre. Une cadence parfaite ramène le mode de la.
De même l’étonnement du berger (mesure 22), débute en transposition par bémol, mais conclut « par nature » pour souligner la question qu’il pose à la Messagère. Le mib n’est qu’une inflexion mélodique pour éviter l’intervalle de triton.

II- Des contrastes d’écriture mélodique
On retrouve également ces contrastes dans l’écriture mélodique. Monteverdi a tiré parti du traitement déclamatoire pour caractériser chaque personnage : à l’état insouciant et joyeux du berger s’opposent l’agitation et l’affliction de la Messagère.

a- Partie I : le Berger
La strophe du Berger utilise une mesure en 3/2, la basse est écrite et contrepointe le chant : cette partie est donc mesurée et présente tous les aspects d’une « canzonette » (petit air). Elle possède un caractère nettement dansant qui rappelle le climat du Ier acte.
La ligne vocale est construite en 3 paliers qui gagnent dans l’aigu :

------------------=> fa
------=> ré - ré
Sol

C’est une figure de rhétorique efficace pour exprimer la joie : l’anabase, la montée vers l’aigu. Chaque motif en revanche est conjoint et les mélodies sont bien dessinées : il n’y a pas de complications rhétoriques. Monteverdi souligne donc l’insouciance ou la gaieté du personnage par ce traitement léger.

b- Partie II : la Messagère
Elle est écrite en C, en contraste avec l’air du Berger. La présentation de l’édition ancienne fait apparaître tantôt une mesure à 4/2, tantôt à C, ce qui est très courant à l’époque : ce qui compte c’est le tactus de base, ici évidemment à la blanche.
La basse est moins écrite, notamment au début où l’on trouve des valeurs longues (mesures 15-17) et le rythme harmonique est moins chargé. La chanteuse est donc plus libre et peut adapter son débit à l’expression ; il s’agit d’une déclamation théâtrale dans le style du « recitar cantando » si particulier à la « seconda prattica ».
D’autre part, les contours mélodiques de la Messagère forment des parcours accidentés aux intervalles disjoints, (voir par exemple mesures 15-17). Ils contrastent entre eux dans un jeu typiquement baroque de catabase (ligne descendante) et d’anabase (ligne ascendante). Aux catabases (affliction) des premières mesures de la plainte de la Messagère, succède une anabase qui exprime la révolte contre le ciel injuste (mesures 19-20). Les ambitus mélodiques eux-mêmes participent à l’expression : si le premier est compris dans un intervalle de quinte (la-mi, mesures 15-16), le second se déploie sur un intervalle de quinte diminuée (sol#-ré, mesures 17-18).
L’intervention de la Messagère est donc agitée et pathétique : son traitement musical, plus théâtral, caractérise bien l’état passionnel de la compagne d’Eurydice. Elle s’oppose en tout point à la canzonette précédente du Berger.

III- Le récitatif de la Messagère : un pathétique baroque
À ces contrastes de modes et d’écriture, s’ajoute un travail minutieux sur le mot qui permet de mettre en valeur plus particulièrement l’arrivée de la Messagère. C’est en effet dans son récitatif que se trouvent rassemblées les figures de rhétoriques les plus expressives qui rendent son discours pathétique et capable d’exprimer la « terreur », une des deux passions fondamentales au théâtre selon Aristote. Nous passons là à un travail plus détaillé de la part de Monteverdi qui consiste à mettre en valeur des petites unités linguistiques, celles qui sont fondées sur le mot et son signifié.

a- Les cris de la terreur
Cette mise valeur prend souvent la forme de l’hypotypose, sorte de traduction musicale d’un terme poétique : ici elle est particulièrement employée pour l’expression de la terreur et de la douleur. Nous en trouvons un exemple significatif au tout début de l’arrivée de la Messagère : le terme « Ahi », sorte de cri brut, sorti tout droit du corps et non de l’esprit rationnel, est toujours placé sur une hauteur élevé, dans l’aigu de la voix et sur une valeur longue. Le premier, à la mesure 15, est particulièrement spectaculaire : il est renforcé par l’harmonie chromatique de la basse (ut-ut#) et par sa position en syncope, position répétée mesure 18.
Ce cri qui revient quatre fois comme une figure d’insistance est suivi par trois fois d’une catabase, sorte de dépression et de mouvement d’abattement (mesures 15-16, 17-18 et 19-20). Cette configuration expressive semble décrire les gestes d’un personnage en proie à la douleur, dans une démarche typiquement monteverdienne (mesure 15-16) :

« Ahi,

----------caso acerbo »

Au sein de cette catabase, le mot « acerbo » (cruel, dur) est souligné par une violente dissonance due au contrepoint plus qu’à l’harmonie elle-même : le sol# du chant vient rencontrer le la de la basse.
Par trois fois se répète cette sorte de cri avec le même type de figure : cri + catabase. Monteverdi y poursuit toujours son jeu sur les dissonances dues aux lignes de contrepoint : à la mesure 17, la basse forme un retard (que l’on peut chiffrer 9-4) suivi de superpositions de 5 diminuée et de 9. Celles-ci forment une figure spécifique, l’hétérolepsis, « dissonance expressive, contraire aux règles usuelles du contrepoint » (Morrier, 2006, p. 106). On la rencontre également à la fin de la mesure 17 et au début de la mesure 18 sous les mots « empio e crudele » (barbare et cruel) avec un enchaînement #6 – 5 tierce majeure.

b- Le silence de l’effroi
À ces figures violentes – presque « cruelles » –, Monteverdi ajoute l’utilisation du silence, la suspiratio. Celle-ci est toujours employée dans un but expressif : elle entrecoupe un mot ou une phrase ou laisse un vide dans le discours. Il faut bien distinguer à ce propos les silences de la partie du Berger, qui n’ont rien de douloureux, de ceux de la Messagère: les premiers sont dus tout simplement à l’écriture concertante déployée ici par Monteverdi et où la basse continue joue tout son rôle.
En revanche, le récit de la Messagère se trouve entrecoupé de pauses presque haletantes, notamment à la fin de la mesure 16 où la basse continue, sur la même harmonie, laisse le personnage en proie à sa douleur muette. Monteverdi n’hésite pas non plus à couper une phrase, dans un geste éminemment théâtral dont se souviendront ses successeurs (mesure 19-20) :

« Ahi ciel – avaro » (« Ah, ciel – néfaste »).

Mais la suspiratio la plus spectaculaire est sans doute placée après la question du Berger, mesure 23 : un silence est demandé dans les deux parties en même temps, au chant et à la basse continue. Il fait attendre la réponse de la Messagère qui intervient ensuite sur un brusque changement de couleur harmonique (accord de do à mi tierce majeure).

Conclusion
Grâce à des changements de mode, des contrastes dans l’écriture mélodique et l’utilisation de figures de rhétorique adaptées, le compositeur a accentué la portée affective du texte : l’annonce de la mort d’Eurydice qui vient interrompre le divertissement des bergers, moment le plus dramatique du deuxième acte de l’Orfeo. Le traitement de la Messagère fait ainsi l’objet d’un soin attentif et son personnage acquiert un aspect profondément pathétique grâce à une écriture en récitatif, des courbes mélodiques contrastées et accidentées ainsi que de nombreuses hypotyposes où se remarquent en particulier les silences et les dissonances. Il s’agit d’une démarche rhétorique sûrement héritée du madrigal que Monteverdi continue à utiliser dans ses opéras tout en la mêlant aux nouvelles avancées du baroque, attitude caractéristique de cette période.
Nous pouvons ainsi la comparer à celle d’un autre grand artiste de la même époque, Le Caravage. Dans sa Mise au tombeau (Rome, Pinacothèque du Vatican, voir illustration ci-dessus), terminée en 1604, trois ans avant l’Orfeo, le peintre romain, propose une composition déséquilibrée où les personnages semblent s’affaisser les uns après les autres sur le corps du Christ qui forme la base du tableau. Le mouvement vers le bas des personnages évoque bien les gestes de douleur que tente de décrire Monteverdi dans les cris de la Messagère : les deux artistes utilisent amplement la catabase, propice selon eux à l’expression de la douleur. Celle-ci est encore renforcée par l’attitude des deux femmes en haut du groupe (les Marie de l’Évangile) : l’une lève les bras hauts vers le ciel, dans un geste théâtral d’effroi, alors que l’autre baisse la tête et essuie ses larmes, deux gestes contrastés qui rappellent la configuration rhétorique de la Messagère de Monteverdi, cri + catabase.
Cet extrait de l’Orfeo est donc à lui seul caractéristique de la nouvelle esthétique qui apparaît au début de l’ère baroque et, notamment en musique, celle de la seconda prattica où le texte reprend la première place. Mais Monteverdi ne renonce en rien à l’héritage du siècle précédent, en particulier à celui du madrigal : chez lui musique et texte sont toujours traités de manière équilibrée. Comme le montre l’extrait analysé, chacun participe à parts égales à l’idéal du compositeur : l’expression des passions humaines.

Bibliographie
MORRIER, Denis, Chroniques musiciennes d’une Europe baroque, Paris, Fayard-Mirare, 2006.
Orfeo, Monteverdi, L’Avant-scène opéra, n° 207, 2002.
QUIVIGER, François, Caravage, Paris, Réunion des Musées nationaux, 1993.

28 mai 2006

Licence 2 : La Musique sous le règne de Louis XIV

Attribué à Jean-Baptiste Mantis, L'Orangerie de Versailles, fin XVIIe siècle, Versailles, musée du château.



La Musique sous le règne de Louis XIV
Pour prendre connaissance de ces notes de cours, vous pouvez cliquer sur le site de l’Association Philippe Lescat, lien ci-dessous :
http://apl.apinc.org/

10 avril 2006

Méthodologie de la dissertation (CAPES et Agrégation)

Jean-Siméon Chardin, Le jeune dessinateur, 1737, Paris, musée du Louvre.


Méthodologie de la dissertation

I-Les trois règles d’or de la dissertation en musicologie
1-Traiter le sujet et rien que le sujet. Ne pas vouloir « caser » à tout prix le cours appris par cœur : il faut choisir et sélectionner.
2-Travailler les articulations qui témoignent de votre réflexion personnelle : introduction, transitions, conclusion. Elles sont à rédiger en même temps que le plan, dans l’ordre suivant : transitions, conclusion, introduction. Les recopier ensuite.
3-Se relire avant la fin : évite les fautes d’étourderie et permet de corriger le français.

II-Normes de rédaction et de présentation
-L’introduction doit comprendre trois sous-parties (en un seul § ou 3 § selon leur dimension).
1-Présentation du sujet en terminant par la citation (ou un extrait) proposée.
2-Problématique.
3-Annonce du plan qui doit être justifié par rapport à la problématique.

-Le plan en 3 parties est conseillé.
-Sauter deux lignes entre les grandes parties. Les commencer par des phrases assertives du type : « Le jeu virtuose est pourtant présent dans bien des manifestations artistiques des sociétés humaines… ».
-Les sous-parties correspondent à un ou plusieurs §. Cependant chaque § comprend une seule idée illustrée par un exemple (musical ou autre).
-Transitions entre les parties : ces sont les articulations les plus importantes, celles qui manifestent votre réflexion. Elles sont constituées par un bilan rapide de la partie et une relance : vous annoncez la suite. Évitez de commencer la seconde partie par une opposition trop marquée à ce qui précède. (« Mais on peut penser tout le contraire de S. de Brossard » ou « Voyons maintenant la position contraire de celle de Brossard »).

-Conclusion :
À rédiger après l’élaboration du plan et la recopier ensuite.
1-Conclusion-bilan : réponses aux questions posées dans l’introduction. Il s’agit d’un résumé rapide (2 ou 3 lignes) des objectifs fixés en fin d’introduction à la clôture de la dernière partie. Vous devez mettre en valeur la cohérence de la progression. Le jugement proposé est-il validé par l’études des œuvres et des courants artistiques ?
-NB : la conclusion est le lieu de l’affirmation : pas de nouvelle problématique même si vous constatez que tout n’est pas réglé. La dissertation a nuancé une pensée, la conclusion tranche.
2-Conclusion personnelle (une ouverture n’est pas obligatoire). Ne pas finir par une question.
3-Clore par une phrase travaillée qui déplace le débat, l’élargit et invite à la réflexion.

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Construire une problématique

Qu’est-ce qu’une problématique ? Dans problématique, il y a le mot « problème » : vous devez donc poser une question, soulever un débat, en bref trouver ce qui fait problème. Mais une problématique ne se résout pas à poser une question simple, du type « La virtuosité est-elle utile ? » ou « Qu’est-ce que la virtuosité ? ». Il s’agit en réalité d’une série de questions hiérarchisées et complémentaires qui découlent du sujet donné : votre réflexion doit comprendre plusieurs étapes articulées qui témoignent de sa finesse et de ses nuances.

Méthode
1- Commencer par analyser le sujet : explication littérale des termes utilisés, étude de leur éventuelle polysémie et des liens qu’ils entretiennent entre eux. « Il s’agit de découvrir le problème soulevé explicitement ou implicitement » (Précis de français, p. 130). Ce travail est très important car il permet ensuite de construire une problématique d’où découle un plan logique. De plus il vous permet de reprendre les termes mêmes du sujet dans les différentes parties de la dissertation.
2- Écartez les termes ou notions qui vous semblent secondaires, qui semblent mener vers des discussions hors sujet, hors des compétences demandées ou hors des connaissances appropriées.
3- Surligner les termes qui vous semblent importants, donnez-en une définition ; avec une flèche raccordez les à vos connaissances.
4- Reformuler l’opinion avancée : « une méthode efficace pour dissocier les problèmes d’un texte consiste à le reformuler sous forme de questions et de réponses, comme un dialogue avec l’auteur. » (rapport jury CAPES 2005).
5- Rassemblez les questions sous une seule : « Au moment de la rédaction, il ne doit rester qu’une question essentielle » (ibid.). Classez ensuite les questions dégagées.

Exemple d’application : sujet de l’agrégation interne de 2006 (voir sur le site http://www.educnet.education.fr/musique)
1- Mots surlignés : constructivisme abstrait, audition, tours de force formels, ils ne se remarquent pas, construction cachée, idéal sonore => Je reprendrai ces termes dans l’introduction, les transitions, la conclusion. Je note que l’on me demande aussi de lier la composition musicale à la réception et à l’interprétation.
2- J’écarte : la définition de la prolation, l’exemple de la Missa Prolationum et « l’euphonie polyphonique », car ils ont le statut d’exemples et sont trop spécialisés (les attentes portent sur une réflexion « inter périodes »).
3- Je définis avec mes propres mots « constructivisme abstrait » (démarche qui consiste à bâtir des structures, des formes intellectuelles savantes). Les « tours de force formels » : c’est une virtuosité d’écriture (si je ne connais pas l’œuvre d’Ockeghem, je pense à celle de Bach, l’Offrande musicale). « Construction cachée » : il y a une spéculation formelle, un jeu du compositeur qui ne sont perçus que par des initiés. « Idéal sonore » : veut dire qu’Ockeghem ne renonce pas à une certaine « beauté », à une séduction ; sa science reste « cachée ». Enfin je réfléchis à ce que cette attitude savante du compositeur donne dans le public : est-il sensible à l’art savant ou à la « séduction » ? Pour les interprètes se posent la connivence avec le compositeur, la connaissance des règles, les valeurs qu’ils vont défendre : émotion ou construction ? Pour l’agrégation : je donne des exemples puisés dans les autres formes d’expression, donc je pose le pb dans la peinture, l’architecture, etc.
4- Je reformule en posant des questions-réponses :
- Ockeghem poursuit-il un art savant fait de formules compositionnelles indétectables à l’oreille ?
- Produit-il ce qu’il y a de plus complexe à son époque ? Est-il donc un compositeur virtuose ? Au sens de Brossard et de la vision humaniste ?
- Mais ces tours de force empêchent-ils la séduction, l’expression (idéal sonore) ? Sont-ils perceptibles par le public ? Quel est le rôle de l’interprète : doit-il manifester l’art du compositeur ou doit-il émouvoir l’auditeur ?
- J’arrive à la question : quel est le rôle du compositeur : émouvoir ou « surprendre » (F. Couperin) par sa technique ? => je suis arrivé à une problématique que je peux décliner. Je vérifie qu’elle recoupe bien les termes du sujet avant de l’élaborer plus finement et de faire le plan.
ATTENTION : ces questions ne forment pas un plan.
5- Je rassemble sous une seule question globale :
a- Quels sont les objectifs de la virtuosité d’écriture dans une œuvre artistique ?
b- (je décline la pensée avec d’autres questions) Doit-elle manifester la science et la complexité de la pensée du compositeur ? Ou bien doit-elle se soumettre toujours aux impératifs de l’expression ?
- Si le public ne perçoit rien de sa complexité, a-t-elle tout de même un sens ? Quel est l’élément le plus important d’une œuvre : sa facture savante ou son pouvoir émotionnel ? En fait c’est un sujet parallèle à celui de la virtuosité de l’interprète : une virtuosité gratuite ou vide n’a aucun sens en art (à mettre sous forme interrogative pour l’introduction). C’est la fameuse formule de Rabelais : « Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme ».

Faire le plan
Pour la conception du plan, pensez toujours : je pars du sujet et rien que du sujet. Je prélève ce qu’il y a de plus simple pour aller vers le complexe : c’est un « approfondissement progressif du sujet » (Rapports CAPES 2005).
I- La virtuosité d’écriture chez le compositeurs.
Je pars du sujet posé : oui Ockeghem est un compositeur savant abstrait, et j’extrapole tt de suite : il existe une virtuosité compositionnelle à l’instar d’une virtuosité d’écriture dans le roman, de facture dans la peinture ou l’architecture (ex. St-Charles aux Quatre Fontaines de Borromini au XVIIe siècle).
II- L’expression : le premier objectif des compositeurs. La 2e partie sert à nuancer, à s'opposer ou à donner les limites du sujet.
III- L’idéal n’est ni technique ni sonore mais moral, au sens premier du terme « virtus ». Ici, on dépasse la problématique : les concepts de I et II ne sont pas suffisants.
=> Je peux répartir les différentes questions ou réflexions dans ce plan : les idées s’enchaîneront de manière fluide. ATTENTION : évitez les transitions brutales, du type : « au contraire » ou « examinons maintenant la position opposée ». Chaque idée exposée compte dans l’argumentation et doit être retenue et rappelée.
Exemple : transition vers la deuxième partie
« Le compositeur, comme le graveur ou l’architecte, peut s’envisager comme un créateur capable de tours de force formels. Ceux-ci s’incarnent dans des sortes de « chefs d’œuvre » à la virtuosité remarquable et étourdissante. Toutefois, comme nous l’avons vu, cette dernière n’est pas extérieure à l’œuvre, elle ne s’envisage pas comme un « constructivisme abstrait » : elle en constitue plutôt son fondement vital. De même à s’enfermer dans des jeux intellectuels, le compositeur ne dévoie-t-il pas une de ses missions : déployer un « idéal sonore » capable de séduire public et artistes ? En effet, peu de compositeurs ont réclamé le seul pouvoir d’une pensée abstraite et ont presque tous fondé leur art sur un idéal expressif qui vise avant tout à donner du sens à leurs spéculations musicales. »

Rappelons encore les conseils précieux extraits du rapport de jury du CAPES 2005
« Dans un premier temps, il ne s’agit pas de répondre à des questions, ni même de comprendre toutes les implications du sujet. Le premier stade du travail consiste à extraire, au fil du texte, le plus grand nombre possible d’interrogations. […] De telles questions ouvrent autant de pistes de discussion, qui sont la source d’un bonne problématique… et de bons paragraphes.

Compréhension des enjeux du sujet : le travail de reformulation
« Au terme du premier stade du travail, les questions se doivent d’être nombreuses et diverses et il n’est pas anormal de rester perplexe devant les difficultés. […] il faut prendre tout le temps nécessaire pour isoler et comprendre ses arguments. […] généralement, trop de candidats renoncent à s’engager sur des terrains un tant soit peu complexes et à creuser un minimum les concepts. Pourtant, sur des points délicats, les correcteurs lisent avec intérêt et indulgence toute tentative de clarification et pardonnent même des contresens, dès lors que le développement est mené avec sérieux. La dissertation est le contraire d’un exercice de fuite ou d’évitement des problèmes. N’en affronter aucun (notamment en se réfugiant derrière des plans tous préparés) n’est pas une solution. Penser vraiment, c’est aussi se retrouver dans des impasses (que la dialectique qualifie d’apories). Une dissertation dans laquelle n’apparaît à aucun moment une difficulté n’est pas tout à fait une dissertation. »

Reformuler
« Une fois le sujet lu, relu et analysé, le candidat doit le mettre de côté pour se l’approprier et isoler son idée directrice, en reconstruisant à partir de ses propres notes les articulations du texte et en reformulant les questions qu’il ouvre. Une méthode efficace pour dissocier les problèmes d’un texte consiste à le reformuler sous forme de questions et de réponses, comme un dialogue avec l’auteur. […] Reformuler tout le sujet ainsi est le gage d’une bonne compréhension de la pensée de l’auteur, qui dissocie toutes ses étapes et en précise le cheminement.
[…] C’est en multipliant ainsi des paraphrases et des synthèses que la compréhension du sujet s’affine. Ces reformulations qui résument, développent et explicitent le sujet sont un stade essentiel du travail et une préparation directe à la rédaction de l’introduction et de la première partie. Dès l’introduction, la manière dont une copie reformule le sujet offre au correcteur une indication très claire de la compréhension des enjeux (et de la qualité d’ensemble de la copie). Au vu de bien des copies, ce travail de reformulation, de « malaxage » du sujet est rarement réalisé, alors que c’est une étape essentielle de la dissertation, surtout sur un sujet assez long.

La problématique et le plan
Une fois le sujet compris, il faut isoler les lignes de force qui présideront à l’élaboration du plan. Une problématique se choisit en partie par élimination, en fonction du sujet, de ses propres compétences et des attentes de la discipline. Ainsi, la question de la relation entre les arts n’étant pas au programme du CAPES d’éducation musicale (à la différence de l’agrégation), il n’est pas opportun, malgré la place que lui accorde M. Clouzot, d’en faire une problématique, pas plus qu’il ne faut se focaliser sur la théorie politique du pouvoir princier. Mais des parallèles entre la musique et d’autres arts, un développement sur la place de la musique dans l’ensemble du mécénat princier, des précisions sur la théorie du pouvoir sous la féodalité et l’ancien régime étaient évidemment bienvenus.
Ayant écarté les aspects secondaires du sujet, il faut formuler la problématique. Elle découle des questions recensées auparavant, qu’elle doit réunir sous un problème général. En aucun cas elle ne peut être remplacée par une série de questions en rafale. Cette méthode trop fréquente doit être réservée aux étapes préparatoires. Au moment de la rédaction, il ne doit rester qu’une question essentielle. Au fil de la lecture et de la reformulation du sujet, une problématique évidente s’est ébauchée : « La musique et le mécénat musical contribuent-ils au bon gouvernement d’un pays ? » La réponse figure sans ambiguïté dans le sujet : elle est positive. Avec une telle problématique, l’objet de la discussion est en somme de vérifier la validité de cette réponse, en confrontant les arguments de M. Clouzot à ses propres connaissances. Pour sérier les problèmes et vérifier la validité des arguments présentés dans la citation, on peut se demander 1) en quoi et 2) comment la musique et le mécénat musical contribuent au bon gouvernement d’un pays. On aboutit ainsi à deux premières parties d’un plan : 1) la musique comme expression du pouvoir et moyen de gouvernement, prolongé par 2) une typologie des musiques du prince, recensant les divers aspects de l’art musical qui contribuent à l’« expression » et à la « réalisation » d’un idéal de pouvoir princier.

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Virtuosité et invention musicale
Proposition de corrigé du sujet donné au CAPES 2006

Sujet
La dénomination virtuose fait référence au terme italien virtuoso. Dans son Dictionnaire de la musique, Sébastien de Brossard propose en 1703 la définition suivante : « virtu veut dire en italien, non seulement cette habitude de l’âme qui nous rend agréable à Dieu et qui nous fait agir selon les règles de la droite raison ; mais aussi cette supériorité de génie, d’adresse ou d’habileté, qui nous fait exceller, soit dans la théorie, soit dans la pratique des beaux-arts, au-dessus de ceux qui s’y appliquent aussi bien que nous. C’est de là que les italiens ont formé les adjectifs virtuoso ou virtudioso, pour nommer ou pour louer ceux à qui la Providence a bien voulu donner cette excellence ou cette supériorité. Ainsi, selon eux, un excellent peintre, un habile architecte, etc. est un virtuoso, mais ils donnent plus communément et plus spécialement cette belle épithète aux excellents musiciens, et entre ceux-là, plutôt à ceux qui s’appliquent à la théorie ou à la composition de la musique, qu’à ceux qui excellent dans les autres arts, en sorte que dans leur langage, dire simplement qu’un homme est un virtuoso, c’est presque toujours dire qu’il est un excellent musicien.»
En appuyant votre réflexion sur des exemples musicaux précis vous discuterez la perception proposée ici des rapports entre musique et virtuosité.
(http://www.educnet.education.fr/musique/index.htm)

Conseils
-L’introduction doit comprendre trois sous-parties.
1-Présentation du sujet en terminant par la citation - ou un extrait – proposée.
2-Problématique.
3-Annonce du plan qui doit être justifié par rapport à la problématique.

-Le plan en 3 parties est conseillé.
-Sauter deux lignes entre les grandes parties. Les commencer par des phrases assertives.
-Les sous-parties correspondent à un ou plusieurs §. Cependant chaque § comprend une seule idée illustrée par un exemple (musical ou autre).
-Transitions entre les parties : bilan rapide de la partie et relance. Évitez de commencer la seconde partie par une opposition trop marquée à ce qui précède. (« Mais on peut penser tout le contraire de S. de Brossard » ou « Voyons maintenant la position contraire de celle de Brossard »).

-Conclusion :
1-réponses aux questions posées dans l’introduction
2-Le jugement de Brossard est-il validé par l’études des œuvres et des courants artistiques ?
3-conclusion personnelle (une ouverture n’est pas obligatoire). Ne pas finir par une question.

Corrigé
Introduction
[Présentation du sujet]
Dans son Dictionnaire de musique, S. de Brossard nous donne une définition de la virtuosité – et des virtuoses – qui s’écarte de l’acception générale contemporaine : un musicien capable de prouesses techniques et physique hors normes. Pour Brossard, en effet, les Italiens utilisent le terme pour les
« excellents Musiciens et, entre ceux là, plutôt [pour] ceux qui s’appliquent à la Théorie ou à la Composition de la musique ».
[Problématique]
Sa vision semble donc exclure un des aspects les plus répandus de la notion de virtuosité et se centre sur la science musicale ainsi que sur une élaboration intellectuelle : nous sommes du côté des théoriciens et des créateurs et non pas des interprètes. Pour autant peut-on écarter de la notion même de virtuosité l’ « excellence » au sens contemporain, celle qui est pratiquée par les exécutants ? En fait ces acceptions cachent des conceptions différentes du statut de la virtuosité : est-elle un pur jeu gratuit comparable à la « précision d’un automate » (H. Heine), ou bien est-elle l’incarnation des plus hautes valeurs artistiques ? Il s’agit donc d’interroger la notion même de virtuosité : peut-on y inclure tout à la fois les exploits d’un interprète, la technicité ou l’habileté d’un artiste – qu’il soit interprète ou compositeur – ou encore la portée spirituelle inhérente à toute création artistique ?
Il est tentant, en effet, de rejeter au nom de l’art une dimension « spectaculaire » faite pour plaire à un public complaisant : presque toutes les époques en Occident, ont connu ce phénomène où les interprètes imposaient leurs lois et leurs caprices. Pour autant, on peut se demander si les talents qu’ils déploient permettent des acquis techniques, des avancées dont profitent les créateurs d’autant qu’à bien des périodes les deux métiers se rejoignent. Dès lors, les relations entre la virtuosité « extérieure » et les fondements même de l’art musical sont à questionner : l’expressivité, la recherche d’effets « inouïs » - au premier sens du terme – sont aussi à prendre en compte. Des démarches comme l’improvisation ou des genres comme la toccata ou l’étude nous donnent sans doute des leçons autant d’art que de « prodige ». Elles permettent de cerner un point central de l’étude, soulevé par Brossard : l’ « excellence » du musicien symbolisée par sa science et sa technique. Ne pourrait-on dès lors passer à une vision plus transcendantale ? La virtuosité se définirait non plus grâce à des effets prodigieux – au sens premier - mais bien grâce à son sens étymologique de « virtus » qu’il nous faudra définir et lier au champ de la création artistique.
[Annonce du plan]
C’est pourquoi nous nous proposons de mener l’étude sous trois angles : le premier concerne l’interprète et sa pratique – est-elle un frein ou au contraire un moteur pour la création ? -, le second s’interroge sur le sens de la virtuosité, sa relation à l’expression et à la création artistique. Enfin le dernier point permet de d’examiner la finalité même de la virtuosité et la manière dont elle s’incarne moralement et spirituellement à la fois chez le compositeur et dans la société dans laquelle il vit.


I-La virtuosité : frein ou élément déclencheur ?
(Transition)
Si Brossard dénie au jeu brillant des interprètes l’épithète de « virtuose », celui-ci est pourtant présent dans bien des manifestations artistiques des sociétés humaines et y revêt des rôles différents mais toujours liés à la performance singulière et au brio technique. Ce dernier aspect est parfois même le plus présent.

1- Virtuosité « pure »
Exemple des castrats et des prime donne en Italie. Leur formation, leur art mais aussi leur tyrannie sur l’opéra.
Admiré du public : celui-ci vient entendre le chanteur et non l’œuvre.
Ex. sur portée : une cadence de Farinelli.
-Les artistes eux-mêmes confortent ce personnage de virtuose qui joue sur des éléments que l’on retrouve dans plusieurs époques. Ainsi un récent interview du « Monde » (31-10-2005) sur le violoniste Nigel Kennedy, fait apparaître trois aspects chez le virtuose :
*l’excentricité de la tenue et des manières, ce qui permet de le singulariser de la « masse » et de promouvoir son image auprès du public (maintenant les média).
*le conformisme du répertoire : N. Kennedy par exemple joue et rejoue Les Quatre saisons de Vivaldi et fonde sur cette œuvre la plupart de ses concerts et tournées.
*la dimension commerciale : de nos jours un agent – un spécialiste de communication – contribue largement à l’élaboration de ce type de posture dans un but commercial : faire vendre.
-On peut rapprocher ces démarches et objectifs de ceux qui sont pratiqués par exemple par les castrats au XVIIIe siècle.
-Autre exemple : la virtuosité contemporaine fondée sur la difficulté technique : certains compositeurs font des demandes qui dépassent les possibilités humaines de l’interprète afin de le mettre en danger : ex. d’œuvre (Boulez, Structures pour deux pianos, 1952 où de plus les pianistes sont « enfermés » dans une pensée abstraite d’une rare complexité, sorte de « fétichisme du nombre » selon le propos du compositeur lui-même). Il en résulte une tension qui fait partie du « spectacle ».
On a donc parfois l’impression d’être plus dans l’ordre de la prouesse que de la musique pure, une sorte de « cirque » technique et vidé de son sens.
(Transition)
En ce sens, elle profite largement à l’interprète qui exploite la bravoure et les performances hors norme : adulé par le public, admiré – ou jalousé – de ses pairs, il est capable de brider l’invention musicale en imposant ses « diktats » ou ses caprices. Le compositeur dès lors se voit contraint de s’y soumettre.

2- Elle bride l’art du compositeur
L’opéra seria, par exemple, souffre de cet aspect des choses : il est non dramatique, statique et souvent stéréotypé. C’est un opéra de chanteurs et non une œuvre à part entière.
Ex.

3-La virtuosité comme élément moteur dans l’écriture et les techniques
Cependant la pure virtuosité est capable de faire progresser musiciens et compositeurs : c’est le cas dans la facture instrumentale (faire ici un § sur la facture, celle du piano, vl, clavecin, etc.)
Dans l’écriture musicale, la toccata baroque est aussi exemplaire à cet égard :
*une improvisation notée : une liberté dans la forme
*l’aspect idiomatique : les traits du clavier. La virtuosité digitale fonde ici une littérature spécifique au clavecin. Une telle démarche se retrouve ensuite dans le répertoire du piano forte et du piano moderne, illustrant bien sûr d’autres formes et d’autres types d’écriture.
Frescobaldi livre des conseils aux « virtuoses », parmi les premiers pour le clavier, dans ses Avvertimenti au Ier livre de Toccatas (réédition de 1637). Ex des double passaggii aux deux mains, modernité de cette écriture (Ex ).
(Transition vers la 2e partie).
Les exemples cités prouvent donc que, si les interprètes dominent à certains moments par leurs exigences – mais aussi par leur talent -, la recherche de l’excellence technique a pu créer des avancées dont a profité la création. Ce que montrent cependant les Avvertimenti de Frescobaldi, c’est l’indissoluble lien entre expression et célérité digitale. Dès lors, cet aspect de la virtuosité conforte la conception de Brossard : celle d’un musicien capable d’exercer son talent dans le domaine du langage même de la musique, ce qu’elle doit véhiculer et transmettre. Pour résumer, on pourrait avancer qu’un véritable « virtuose » n’est pas la simple imitation d’une machine mais bien celui qui explore et met en valeur des domaines musicaux encore insoupçonnés, domaines qui ne concernent pas toujours les prouesses techniques les plus visibles.


II-Le sens de la virtuosité
1- La virtuosité soumise à l’expression
C’est pourquoi l’on trouve dans les Avvertimenti des conseils pour un jeu expressif. Les débuts de toccatas sont « adagio et arppegiando » (ex sur portée). De même chez F Couperin les recommandations de doigtés, d’exécution des ornements sont soumis à un impératif : un jeu coulant et expressif. Couperin lutte donc contre un défaut de l’instrument - « les sons du clavecin ne pouvant être enflés ni diminués » -, pour lui « donner une âme » (Art de toucher le clavecin, 1713). Aspiration et suspension deviennent la base du jeu qu’il recommande ; de même les doigtés de substitution deviennent un des conseils les plus importants et une marque de son style (ex. musical).

2- La virtuosité et l’exploration harmonique
-Un autre trait constitutif de l’improvisation - dont on a vu les relations étroites avec la virtuosité – est constitué par la recherche d’effets harmoniques : le « far stupire » des Italiens qui inclut également d’autres éléments comme le silence ou l’expression du texte. On peut donner en exemple Frescobaldi, Froberger, Louis Couperin mais aussi chez les romantiques dans des formes tels que la fantaisie ou le prélude, repris par Debussy. Ici le jeu de l’interprète consiste à chercher, à trouver des enchaînements colorés ou surprenants : la technique brillante, l’« agilité de la main » (selon le mot de Frescobaldi) ne sont plus les seuls éléments mis en valeur. Un bon ex. nous en donné par L. Couperin dans son Prélude à l’imitation de Froberger (ex. musical des accords de 7 #5).
-Chez Chopin ou Debussy, on décèle le même type de démarche : la couleur harmonique prime sur le brio et donne toute sa place à une virtuosité plus musicale que technique. Le fameux Prélude opus 28 n°4 en mi mineur de Chopin entre bien dans ce propos : les enchaînements d’accords sous une allure improvisée sont d’une originalité remarquable pour l’époque, et leur exécution ressort de ce que l’on peut désigner comme une « virtuosité cachée ». Il n’y a aucun effet spectaculaire dans la réalisation d’un legato parfait à la main droite, tandis que les accords à la main gauche doivent être d’un poids rigoureusement égal tout en dosant judicieusement la couleur des notes « intéressantes » de l’harmonie, tout cela en évitant la monotonie, ce qui est un vrai tour de force :
Ex : donner ici des ex. sur portées
-Il s’agit donc ici autant de savoir, de science que de vélocité digitale et technique.

3- L’« étude » : un genre emblématique
De même l’étude et les genres que l’on peut y rattacher (préludes et fugues de Bach, Essercizi de Scarlatti, Sequenze de Berio, etc.) - qui traversent donc les périodes historiques -, sont emblématiques de cette rencontre entre inventivité musicale et excellence technique : entre les études de Paganini, de Cramer, de Liszt et celles de Debussy, la différence est pourtant de taille. Si les premières se concentrent sur une technicité de l’interprétation, celles de Debussy exploitent des domaines bien plus diversifiés (Sur les sonorités opposées de Debussy).
(Développez ici un § sur l’étude).
-La Sequenza III pour voix de Berio : une « étude » bien particulière, car elle remet en cause les rapports univoques entre voix et langage (ex. musical). Elle est écrite pour une « virtuose » : Cathy Berberian. Relation indissociable de l’inventeur et de son « messager ».
(Transition)
Nous sommes maintenant du côté des compositeurs, des « inventeurs », même si leur relation avec les interprètes est primordiale - comme on l’a vu pour Berio - ou encore s’ils sont les mêmes à certaines époques - baroque en particulier. En effet, nous passons là de la maîtrise technique, apanage de l’interprète qui veut éblouir, à un autre domaine, de dimension plus transcendantale, celui du statut même de la musique, de son écriture, de son rôle artistique et social. Toutefois, pour reprendre les conceptions de Brossard, les tours de force dus au métier même du compositeur, à l’instar d’un architecte, d’un graveur ou d’un peintre, poussent aussi à l’admiration.


III- La virtuosité comme pratique de l’excellence et de la « vertu »
1- C’est pourquoi l’excellence s’apprécie en termes de métier
C’est l’aspect « professionnel » du musicien, au sens où l’on entendrait aussi pour un artiste ou un artisan : c’est un virtuose de tel ou tel domaine. Un bon exemple nous en est donné dans les gravures de Jacques Callot conservées à Nancy.
-Un § sur ces gravures : technicité virtuose de la gravure dans un format miniaturiste, véritable « tour de force ». Il est au service d’une critique des événements tragiques de la guerre et de la vie du soldat réduit à tuer, voler ou violer.
En musique, le « métier » s’apprécie sous d’autres termes, même si la démarche est comparable.
a- le contrepoint : Ex. L’Offrande musicale de Bach. Les techniques de contrepoint inspirent encore les œuvres du XXe siècle comme City life de Reich (1994), dans le 3e mouvement.
b- l’harmonie : Ex des pièces de clavecin de Rameau où se mêlent virtuosité digitale (Les Cyclopes), harmonique (L’Enharmonique). Dans ce domaine, Rameau innove dans la littérature de clavecin.
c- spéculation conceptuelle : Les Sauvages de Rameau, écrits pour le théâtre de la Foire, paraissent dans le 3e livre de clavecin et prennent place ensuite dans l’opéra Les Indes galantes : la danse sert d’introduction puis d’accompagnement à un rondeau choral avec soliste et chœur.
Ex. sur portées.

2- Une offrande divine : la virtuosité comme offrande destinée aux dieux que l’on trouve par exemple chez les flûtistes du Bénin.
De même chez les Pygmées Aka du Centrafrique, lors d’un rituel de divination – le bondo – qui vise à déterminer la cause d’un désordre mettant à mal la vie de la communauté, les participants déploient une polyphonie complexe. Après l’entrée d’un soliste, les choristes rentrent successivement pour former un contrepoint de quatre voix différentes. Ils font vivre cette structure par une technique de chant particulière : le « yodel » ou diyei, rapide passage entre la voix de poitrine et la voix de tête (CD Les Voix du monde, III « Polyphonies », CNRS Harmonia mundi).
Ce type de musique, qui ne peut se dissocier de son contexte religieux et social, s’envisage aussi comme une pratique de l’excellence : en cela elle rejoint l’origine du mot, le « virtus » latin (en italien : virtù). (Un § sur l’origine du mot).
Pour Bach : « pour la plus grande gloire de Dieu ». L’élaboration musicale se déploie à l’office. Un bon ex. : l’utilisation « virtuose » du choral dans les chorals variés, la fantaisie choral, dans les cantates. Élément populaire de l’office protestant qui prend place dans une œuvre de grande dimension artistique et à l’élaboration savante.
(Transition)
Chez d’autres cette dimension prend la forme d’une réflexion politique, celle d’un citoyen aux prises avec les enjeux de la cité et qui s’adresse à ses pairs.

3-Une dimension politique : le virtuose et le citoyen.
-Le grand canon répétitif de City life (IIIe mouvement) est fondé sur un matériau vocal enregistré dans une manifestation de noirs américains. Ici se rejoignent virtuosité d’écriture – sur une relève d’enjeux artistiques anciens – et prise de conscience de la dimension politique de la ville : le racisme, la violence. Le musicien, par son élaboration savante et son approche sensible, prend part aux débats de la cité, fait œuvre de citoyen « virtuose », au sens des Italiens du XVIIe siècle.
-Reich dessine ainsi les contours d’une nouvelle virtuosité lorsque il unit des expressions musicales populaires (la techno, le rap), des moyens technologiques modernistes (les claviers à échantillons) à des techniques d’écriture relevant de la tradition occidentale savante (le canon et le contrepoint).

Conclusion
[Réponse aux questions posées dans l’introduction]
Même si la citation de Brossard semble s’appliquer aux compositeurs, elle est représentative de ce que peut être une virtuosité bien comprise. Apanage du musicien, elle est une pratique de l’excellence et rejoint en cela l’acception première du « virtus » latin, la vertu, le courage, la droiture. Elle n’a de sens que dans sa relation à la musique : une virtuosité gratuite a le plus souvent mené à l’impasse. L’expression, l’inventivité, la spéculation intellectuelle ont aussi leur place dans cette notion très large de « virtuosité ». (Ramener ici la réflexion menée dans le travail si vous avez le temps).
Toutefois, ce qu’avance Brossard doit être nuancé : un interprète, s’il a assimilé les règles de son art, a le droit tout autant que le compositeur à l’appellation de « virtuose ». Tous deux partagent une même posture, celle du musicien complet au sens humaniste du terme : celui qui maîtrise les contenus artistiques et techniques de son art, tout en faisant preuve de courage, d’originalité et de sens moral.
[Conclusion personnelle]
À l’heure actuelle, cette démarche est encore pratiquée par certains : la création récente d’Angels in America (2004) de Peter Eötvös est là pour le prouver. Cet opéra, synthèse personnelle de procédés anciens et de techniques contemporaines (des « récitatifs » accompagnés par des dispositifs électroacoustiques, un traitement vocal souple entre le parlé et le chanté), propose une réflexion sur les fléaux qui engendrent la douleur et la mort dans nos sociétés. Elle transcende son sujet même - le sida – par une vision profondément humaniste où se mêlent virtuosité d’écriture et virtuosité d’interprètes.

06 avril 2006

Préparation à l'agrégation - Leçons

Diego Velasquez, Le Triomphe de Bacchus, 1629, Madrid, musée du Prado

Leçon d’agrégation Sujet

1-Tambourins des Indes galantes de Rameau (écoute).

2-Pétrouchka de Stravinsky, « Foire populaire du Mardi gras » (partition). Partition de poche Boosey and Hawkes, Première partie, p. 1 à 19, ou Dover, p. 7 à 27 de cette édition, disponible sur le site :
http://www.dlib.indiana.edu/variations/scores/aad9501/large/index.html

3-Diego Velasquez, Le Triomphe de Bacchus, 1629, Madrid, musée du Prado (voir reproduction ci-dessus).
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o
Corrigé

Rappel du BO du 30 août 2000
Leçon devant le jury : cette épreuve comporte un exposé de synthèse fondé sur l'analyse et la mise en relation de trois documents identifiés de diverses natures dont une partition, un enregistrement audio ou vidéo, le troisième document pouvant être, notamment, un texte littéraire, un écrit sur la musique, un document iconographique ou multimédia.
Le candidat expose et développe une problématique de son choix en s'appuyant sur les trois documents proposés. L'exposé est suivi d'un entretien avec le jury.
Pendant la préparation, le candidat dispose d'un clavier et du matériel nécessaire à l'exploitation des documents proposés (durée de la préparation : six heures ; durée de l'épreuve : cinquante minutes [exposé : trente minutes ; entretien : vingt minutes] ; coefficient 2).

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o

Introduction
*Le sujet :
Le recours aux expressions populaires dans l'art savant.
*La problématique : de quelle manière sont-elles intégrées ? Il faut bien distinguer l’emprunt textuel de certains motifs ou de certaines techniques de l’inspiration populaire qui concerne l’esprit et la démarche.
*Le plan
1-S’agit-il d’une simple citation, d’un emprunt qui au fond ne change rien au mouvementt général, à l’écriture ? Simple référence à un monde qui n’a pas le droit de cité, sorte de couleur locale.
2-Le matériau populaire est-il respecté et donne-t-il une orientation à l’œuvre ? Une véritable intégration ?
3-S’interroger sur le sens même des influences populaires dans une œuvre artistique.

I-Un emprunt artificiel
Une couleur locale, exotique, qui ne remet pas en cause un ensemble « savant »

1-Un populaire idéalisé
Les « Tambourins » des Indes galantes de Rameau :
-Tambourin : danse populaire d’origine provençale.
-L’opéra-ballet au XVIIIe siècle : divertissement des Parisiens et de l’aristocratie, les paysans sont convoqués uniquement par convention.
-Mode de la pastorale, des bergeries. Cadre idéal, sorte de monde de l’âge d’or où évoluent des bergers de convention qui s’occupent principalement de leurs relations amoureuses. Référence à l’Antiquité (Virgile) et non au monde paysan.
-De même une certaine mode apparaît au XVIIIe pour le jeu d’instruments populaires par les nobles et bourgeois : musette, vièle à roue. Jouent des danses ou des pièces d’inspiration populaire. Cette mode est relayée à l’opéra : les musettes s’introduisent avec Campra (début XVIIIe), des danses comme les « tambourins » - souvent associés aux personnages de Provence - les « musettes », sont de plus en plus à la mode.
-Analyse des Tambourins : bourdon, percussions, mélodie affirmée, 2 parties sol mj/sol min (jouer et chanter les ex) => référence populaire
-Mélodie travaillée dans le mineur (grands intervalles, changements de registres) typique de Rameau : élaboration savante.
=> L’inspiration populaire ici est un prétexte : des techniques d’écriture sont transposées dans un contexte bien différent (un opéra-ballet).

2-La citation
(Transition)
Si Rameau réinvestit des techniques d’écriture populaires, Stravinsky quant à lui, cite textuellement une mélodie qu’il intègre à une scène de Pétrouchka (1911).
-Chez Stravinsky, la mélodie populaire (« Elle avait une jambe de bois ») que le compositeur avait entendu de sa fenêtre à Beaulieu près de Nice, intervient comme une citation, une sorte de collage dans la construction de l’œuvre. Elle agit un peu à la manière des collages cubistes où un bout de journal – élément du quotidien – ne remet pas vraiment en cause une véritable réflexion sur la forme et la perspective. Chez Rameau et Stravinsky les élément populaires plus ou moins retravaillés font donc partie du matériau compositionnel qui s’inscrit dans un contexte a priori savant.

3-Le référent savant
-Chez Velasquez, la convocation de paysans dans une scène mythologique semble également jouer ce rôle. Ce type de scène constitue un topos de la culture des classes aisées et est donc facilement lisible par les élites.
-Le sujet : Bacchus couronne un paysan. Dieu de l’ivresse et du vin, il est associé aux fêtes voire aux orgies. Le tableau évoque aussi le pouvoir du vin qui fait oublier les soucis et adoucit la vie. Il se donne à voir comme une allusion au règne de Philippe IV qui donne bonheur et joie de vivre à ses sujets : remarquer la figure réjouie des paysans. Ce tableau ornait la chambre à coucher du roi, ce qui confirme son interprétation allégorique.
-Le personnage de Bacchus est un hommage évident à Caravage dont Velasquez s’inspire. Bacchus, couronné de pampres, adopte un visage de jeune homme et est habillé à l’antique, comme ses deux compagnons (nudité « héroïque » des dieux et des empereurs romains). Il couronne un sujet ou un adepte de son culte.
-Les paysans qui lui rendent hommage évoquent quant à eux les bergers ou les mages qui viennent adorer le Sauveur : la référence à la peinture religieuse est ici évidente. Comme dans une crèche, les paysans présentent à leur jeune dieu des offrandes en relation avec son culte : verre de vin, bol. Au pied du jeune homme qui est couronné figurent une cruche et comme un verre renversé. Il est assis sur un tonneau.
=> les personnages populaires participent à un sujet mythologique.
(Transition)
-Dans une première lecture, le populaire sert donc de caution à des univers qui lui sont étrangers : il n’y semble pas vraiment intégré mais plutôt surajouté. Toutefois il ne faudrait pas rester à ce niveau d’interprétation : l’influence populaire est capable aussi d’infléchir le contenu moral et artistique d’une œuvre. Elle joue un rôle qui n’est pas uniquement anecdotique.
-Ainsi la toile de Velasquez peut se lire comme une cérémonie complètement païenne, consacrée aux plaisirs de la vie – surtout celui du vin. La référence à la mythologie ainsi qu’au motif chrétien de l’adoration du Sauveur, est transformée par l’importance de l’élément populaire : la représentation très réaliste de paysans plus ou moins ivrognes.

II-Le matériau populaire oriente l’œuvre

1-Une réjouissance toute humaine
-Le tableau de Velasquez, en effet, se divise en deux parties : celle, assez conventionnelle et même maladroite (voir le corps de Bacchus), consacrée au dieu et à ses suivants et celle, animée, réaliste et bien plus soignée des ivrognes paysans. On peut comparer les attitudes : alanguies et calmes pour les uns, animées pour les autres (ils se poussent afin de regarder, l’un soulève son chapeau). Les regards de même jouent un rôle de premier plan : Bacchus a les yeux tournés vers la gauche, hors champ et semble quêter l’assentiment de ses suivants. Ceux-ci nous tournent la tête : ils s’amusent de la scène à droite du tableau. Et c’est bien celle-ci qui domine : les regards prennent le spectateur à partie, ils le convient à entrer dans la célébration du vin et de l’ivresse.
-Le traitement des ivrognes tranche par son réalisme – bienveillant – sur les costumes et la nudité des dieux. Les habits sont ceux des paysans du temps, ils ont leurs cheveux (pas de perruques), les plus âgés ont barbe et moustaches qui contrastent avec les corps imberbes des dieux. Leurs faces sont réjouies, détendues (ils sourient ou rient) et même bien rouges pour certains ! On éprouve une atmosphère de joie de vivre, accentuée encore par l’emploi de couleurs chaudes en premier plan (jaune de la veste et brun-rouge du manteau).

2-Une évocation de la fête
-On retrouve la même démarche chez Stravinsky : l’évocation d’une fête populaire
-La mélodie citée plus haut s’accompagne d’une imitation savoureuse et virtuose de l’orgue de Barbarie aux clarinettes et flûtes.
-elle prend place dans le 1er tableau, la « Foire du mardi gras ».
-Analyse de l’extrait de Pétrouchka avec exemples musicaux (voir analyse : ne pas se perdre dans les détails, mais ramener aux techniques d’écriture qui contribuent à créer une atmosphère de foire populaire. Si vous connaissez l’argument, donnez le).
=> le motif populaire donne son sens à l’œuvre.

III-Populaire et savant : une vision humaniste
(Transition)
En effet, la leçon à tirer de ses trois œuvres, c’est la fusion du populaire et du savant dans une vision humaniste qui dépasse les clivages trop marqués ou les hiérarchies sociales et artistiques (musique populaire simpliste ou élémentaire/paysans sales et incultes).
1-le rythme et la danse chez Rameau, éléments combien vitaux dans la plupart des civilisations. Malgré le contexte « artificiel » des Tambourins, Rameau rejoint, par l’énergie rythmique déployée, l’esprit des musiques populaires.
2-le plaisir épicurien chez Velasquez : le véritable sujet du tableau ce sont les paysans. Notez d’ailleurs que le centre de la toile est occupée par une tête de face, celle du paysan qui rit et qui nous présente son bol empli de précieuse liqueur. Le peintre évoque l’idée du bonheur, mais un bonheur profondément humain qui dépasse le référent mythologique : l’inspiration du tableau est épicurienne. Elle célèbre les bienfaits de la nature qui sont donnés aux hommes pour leur plus grand bonheur. Elle invite à jouir de la vie : il n’y a aucun mépris pour ces gens du peuple qui, comme tout un chacun, sont capables d’apprécier les dons de la nature (faire ici une allusion au courant épicurien en Europe aux XVIIe et surtout XVIIIe siècles).

3-un tableau coloré, vivant, populaire mais extrêmement pensé chez Stravinsky : procéder à une analyse plus structurelle. Sa musique - encore de la danse d’ailleurs – ne se conçoit pas comme une musique de film – descriptive et illustrative – mais véritablement comme une œuvre d’art (donnez des exemples musicaux). L’imagination du compositeur est fécondée par la musique populaire, par son écriture et par son énergie (bourdon, harmonie, tonalités, écriture mélodique et rythmique). Elle lui permet d’élaborer un langage et un univers nouveaux.

Conclusion
-Pour les artistes, l’art concerne la société entière. C’est là que réside le sens de leurs emprunts populaires.
-Pour eux, en effet, toute production humaine est digne d’intérêt. C’est donc à une vision humaniste qu’ils nous convient, vision fondée sur la tolérance, l’intérêt et le souci de l’humain. Elle est toujours d’actualité.

Autres thématiques possibles :
1-Fête et divertissements
=> Etudier quels sont les moyens d’expression mis en jeu pour évoquer voire décrire une atmosphère de fête ou de divertissement.
=> La danse y joue un rôle prépondérant (le corps, le rythme)
=> L’aspect populaire y est très présent.
2-Rythme(s)

-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o